vendredi 28 avril 2006

Le Douanier Rousseau


Le Douanier Rousseau
Jungles à Paris
Du 15 mars au 19 juin 2006
Au Grand Palais

« Comme dans les tableaux du Douanier Rousseau lalala lalala lalala lalala woho woho wohooooo, VIVE LE DOUANIER ROUSSEAU! » Oui, tous les ans à la kermesse de l’école, il y avait toujours une classe de maternelle qui dansait sur cette chanson de la Compagnie Créole, toujours. C’est donc avec cette chanson dans la tête que je me suis rendue au Grand Palais, je l’ai même fredonné dans les salles. Enfin, j’allais voir ce Douanier Rousseau, un peu mystérieux pour moi ce douanier et quel rapport avec la Compagnie Créole ?

Avant l’expo, j’avais bien vu quelques reproductions dans le dictionnaire quand, au collège, je cherchais des informations sur Jean-Jacques (notre douanier s’appelle Henri). J’ai un vague souvenir au Musée d’Orsay mais j’étais bien trop pressée d’aller voir Courbet et Manet. Je m’en veux, je m’en veux. Mais le Douanier Rousseau est plus ou moins absent de mes cours d’histoire de l’art, est-ce que j’aurais mal recopié ?

Bref, j’y vais. Là, on apprend que le Douanier Rousseau était un incompris mais qu’il était quand même reconnu par Picasso et Apollinaire (petit moment de honte personnelle : j’apprends qu’Apolinnaire a lui aussi dit « Vive le Douanier Rousseau », moi je n’ai que les woho dans la tête). Alors là évidemment se déclenche en moi ce réflexe : mince alors, il l’aime tous (oui, tous : Picasso, Apollinaire, je ne veux pas me ranger dans la catégorie de ceux qui n’aiment pas parce qu’ils n’y ont rien compris), pourquoi je n’y réagis pas ? Pourquoi je me dis même que c’est plutôt moche ? Argh, très inconstructive comme remarque.

Je ne prends pas de plaisir à regarder ces premiers portraits car je les trouve disproportionnés. La dame devant dit pareil que moi, sentiment désolant que de penser la même chose que le visiteur lambda. J’essaie de trouver une justification aux disproportions, à l’effet masque des visages, on me dit que c’est naïf sur le cartel, j’essaye de me convaincre.

Et puis arrive cette salle, la salle 7 « les sources », on replonge dans la fin XIXème, côté littérature : Conrad, Kippling, Verne ; il y a aussi les expositions universelles dans lesquelles la France coloniale présente des « exhibitions ethnographiques », des photos du jardin des plantes, du jardin d’acclimatation…

Rousseau n’a jamais quitté la France, c’est donc grâce à ces jardins, grâce à ces expositions, ces lectures qu’il se crée cet univers onirique. Tout est recontextualisé dans mon esprit, maintenant je comprends, j’ai trouvé une brèche par laquelle je peux infiltrer l’œuvre du Douanier Rousseau. La preuve en est, je n’ai pas résisté à sortir mon carnet et mon stylo. Ca m’intéresse. Ce rapport du lointain et du proche, ces superpositions dues à l’accumulation des plantes dans les jardins parisiens mais aussi à la multitude d’images (photographies ou dessins) dont Rousseau s’inspire.

Il y a quelque chose qui m’intéresse maintenant, je le sens, je ne pourrais pas dire que ça ma plaît mais ça m’intéresse, je voudrais l’étudier, comprendre plus en profondeur. Je n’en suis plus à faire ces mêmes pâles constats : « oui, enfin si il est vraiment intéressé par la jungle, il n’a qu’à voyager, quand on veut on peut et plus la peine de faire semblant en allant au jardin des plantes. » Il y a quelque chose qui me fascine, je sens quelque chose qui est tellement étranger à nos modes de pensée actuels.

Je suis contente, je ne me suis pas forcée. Je n’aime pas Rousseau, il m’intéresse (je radote ?) dans la compréhension de ce contexte artistique historique, il fait écho à mes questionnements sur le colonialisme lors de ma lecture de Conrad. Mon jugement se nuance.
Ca y est, je suis préparée à voir les dernières salles qui accueillent les plus grandes toiles de Rousseau, les jungles. J’y trouve même un certain plaisir à les regarder, tous ces camaïeux de vert, ces animaux (le lion ayant faim se jetant sur l’antilope), mêmes les portraits dont j’apprécie mieux le rapport à la photographie pour finir sur le rêve.

J’ai réussi à nuancer mon jugement. J’ai mis de la distance avec l’œuvre du Douanier Rousseau, la distance de l’étude qui n’est pas celle de l’étude d’œuvre mais celle de l’étude historique, sociale, artistique. Développer mes propres considérations sur cette étude ici n’est pas mon intention. C’est la distance nouvelle que je n’avais jusqu’à lors éprouvée qu’en littérature (et pas seulement avec Conrad) qui m’intéresse. C’est un rapport plus nuancé aux œuvres.

Vive le Douanier Rousseau !

mercredi 26 avril 2006

Paul Klee Journal


Paul Klee
Journal


Les journaux et Klee… Toute une histoire. C’est le premier que je lis, et je suis plutôt contente de mon choix parce que même s’il est en grande partie du à la couverture rouge (oui mais avec la petite chaise, vous allez croire que j’achète tout ce qui est rouge) le journal retrace la vie du peintre de ses premiers souvenirs jusqu’en 1918 alors que Klee n’a que 39 ans (1879-1940).
Un sentiment de fraîcheur à la lecture, de regarde neuf d’un artiste en devenir.
Musique, poésie, peinture, Klee jongle entre les trois arts, il hésite quelques fois mais sait qu’il veut d’abord se construire en tant que personne avant de faire un choix professionnel.
Je ne suis pas familière avec le monde de la musique, mais quand Klee nous fait part des concerts auxquels il participe, des opéras auxquels il assiste, il arrive à communiquer cette passion. Communiquer ? Un journal intime qu’il ne voudra pas publier de son vivant, et pourtant oui, il nous fait sentir tout cela.
Le langage même traduit est léger, il est poétique.
Ses premières amours, ses voyages, ses études se mêlent à ses premières interrogations esthétiques. Et c’est justement ce mélange qui donne cette fraîcheur à ses réflexions sur l’art. Elles sont comme disséminées dans le flot des mots, de ses histoires sentimentales et le lecteur les découvre comme des petites perles. Klee est un artiste tout entier.
C’est terriblement exaltant de lire ses premiers balbutiements dans le monde de l’art lorsqu’on sait sa renommée post-hume. Comme s’il était déjà artiste avant de l’être. Comme un présage. Cela éveille la curiosité, on lit en écoutant . On le sent gagner en assurance.
Intéressant de vivre la naissance de cet artiste de l’intérieur, sans forcément aller vérifier son évolution artistique.
Quelques citations, je n’ai malheureusement choisi que des passages ayant trait à l’art, quelqu’un d’autre aurait pu avoir une toute autre sélection, le livre est tellement riche que les axes de lecture sont multiples :
« Au printemps 1901, j’établis le programme suivant : au premier chef, l’art de la vie, puis, en tant que profession idéale : l’art poétique et la philosophie ; en tant que profession réaliste : l’art plastique et, à défaut d’une rente : l’art du dessin (illustration ). »
« Je projette en surface, c’est-à-dire que l’essentiel doit toujours devenir visible, quand même ce serait impossible dans la nature dont la structure ne se prête pas à pareil style en relief. »
« La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. »

Bonne lecture…

dimanche 23 avril 2006

Petite digression de rien du tout

Moi, la philo et l’art
petite digression

Je suis en train de rédiger ma dissertation de philo, le sujet tourne une fois de plus autour du thème art et nature, art et culture, distance entre les deux… Le sujet donné n’est pas génial, je le trouve scolaire. Mais la machine est bien huilée, depuis maintenant quelques années de philo de l’art et esthétique, j’ai pondu ma dissert sans trop de problèmes.

Oui mais voilà, j’en suis arrivée à un stade où ces questions deviennent beaucoup plus concrètes. J’ai fui les arts plastiques pour arriver aux arts appliqués, pour ne pas m’encombrer d’un fragile et prétentieux statut d’artiste. Cela me permet d’aborder l’art d’un point de vue un peu plus extérieur sans m’empêtrer dans mes propres contradictions. Je le vis comme un élargissement de ma passion.

Les arts appliqués, pour moi, c’est comme une couverture, une possibilité d’envisager tout et n’importe quoi sans avoir à affirmer que c’est de l’art. Les arts appliqués, pour moi, ça englobe bien plus que le design, c’est tout ce qui se passe autour de l’art. Les arts appliqués sont plus centrés sur le faire que dans l’art qui tend à trop s’intellectualiser, tandis que cette permanence du faire, de la matière dans les arts appliqués, c’est comme un chemin à suivre qui permet de ne pas s’égarer. C’est une rencontre entre la matière qui me touche réellement et l’esprit.

Je veux à tout prix éviter les contradictions. Je veux dire ce que je pense réellement. Dans l’exercice de la dissert de philo, quand on est étudiant en art, ce qui est difficile, c’est que si contradiction il y a entre ce que vous dîtes et ce que vous faîtes, elle s’imprime littéralement dans vos créations .L’esprit qui pense et l’esprit qui crée ne fonctionnent pas toujours dans le même temps, la création étant parfois sollicitée en premier par la matière, parfois par l’esprit qui agira sur la matière. Les « œuvres » sont donc une vérification de notre pensée plus qu’une simple illustration de celle-ci.

A la découverte de l’esthétique, l’assimilation des textes majeurs passées, on est tenté de rivaliser avec ces idées mais nos « œuvres » nous rappellent à l’ordre. Cela vous apportera peut-être les louanges de votre professeur mais est-ce que ce n’est pas aller trop loin compte tenu de votre avancée en matière artistique ?

Je pars du principe que la philosophie au même titre que toutes les sciences humaines m’enrichit et questionne ma pratique en même temps qu’elle l’a fait avancer.
Mais quand certaines idées sont trop éloignées de ma pratique, elles ne m’enrichissent pas, elles me perdent. Et j’en veux à ce sujet trop scolaire. Ma pratique devient alors un handicap pour accéder à de telles idées car je ne suis pas encore en mesure de vérifier de telles pensées dans mes propres créations.

Aller vers les arts appliqués m’a permis de prendre position par rapport à l’art, c’est un détournement, un détournement que je pense provisoire, je pense revenir à l’art par le moyen des arts appliqués. C’était une manière de comprendre l’art d’un point de vue extérieur sans en être pris par son vertige. Vous imaginez ce que c’est que d’apprendre l’histoire de l’art, de rencontrer les œuvres des grands maîtres quels qu’ils soient tout en se réclamant artiste ? Quand on entame ces études-là de nos jours , ce n’est pas pour finir dans un atelier minable à peindre des natures mortes, l’art nous pousse à l’ambition mais celle-ci peut être fatale si elle est abordée trop frontalement, il ne faut pas se perdre dans cette ambition.Voilà, c’est une petite digression, ce n’est pas organisé mais c’est sorti comme ça venait,il vaut mieux que je m’arrête maintenant. C’est peut-être l’influence du journal de Klee que je lis en ce moment. Je ne pensais pas écrire de tels billets dans mon blog, je vais sûrement le regretter mais tant pis.

jeudi 20 avril 2006

Tino Seghal

Matter Grey curaté par Joseph Kosuth
Galerie Almine Rech
Du 25 février au 22 avril 2006


Si vous avez déjà lu ce que j’écris ou si vous me connaissez, vous savez que je suis du genre à poser des questions, à aller voir la dame dans la galerie (oui, c’est souvent une dame) si je n’ai pas saisi le sens de l’œuvre, surtout si c’est de l’art contemporain, vous savez que si c’est de l’art moderne, je vais peut-être me la péter à étaler ce que je sais, si on est avant le XX ou le XIX, je ferai juste semblant. Oui, ça vous le savez.

Bon là, à l’expo Matter Grey chez Almine Rech, j’allais encore poser une question. Alors je m’avance vers la dame, je m’aperçois qu’elle n’est plus à la même place qu’à mon arrivée, elle n’est plus cachée derrière son « guichet » ou « banque d’accueil », non, elle est debout et lit le communiqué de presse sur ce guichet.
« Excusez-moi », oui, je suis polie. Bon, elle ne se retourne pas, génial, et là, elle porte une main à ses lèvres et tombe à la renverse. J’ai un moment de panique, pas vraiment de réflexe, mais je suis très proche, j’aurai pu la rattraper. Sur le coup je prends ça comme un signe : arrêter de poser des questions.
Mais elle se met à parler, enfin non, elle geint plutôt. Et ce qu’elle dit, ça ressemble au communiqué de presse de l’expo. Bon, là je comprends, j’ai moins chaud, je peux reprendre mon air inspiré. Genre je médite sur ce qu’elle dit. Une performance pour moi toute seule, je pourrai peut-être lui marcher dessus, voir ce que ça fait…

Ce n’est pas bien long. Quand elle a fini, elle se relève et dit « Tino Seghal » et puis autre chose que je n’ai pas retenu qui devait être le titre de l’œuvre/ performance mais qui n’apparaît pas dans le communiqué de presse. Là, je lui montre bien que j’ai compris, histoire de compenser avec ma surprise du début.
Elle essaye quand même de me renseigner mais elle ne travaille pas ici.
Mais alors, c’est elle Tino Seghal ? Un artiste qui serait à la galerie tout le temps de l’exposition ? Non, Tino Seghal est un homme, c’est à lui que Joseph Kosuth a commandé cette performance. J’ai appris ça en retournant chez moi et en faisant quelques recherches, je n’ai donc pas pu approfondir ça pendant ma visite. Ici, vous trouverez un texte en anglais très intéressant sur Tino Seghal.

C’est la première fois que j’ai droit à une pseudo-performance pour moi toute seule. C’est comme un baptême. Mais je me pose tout un tas de questions. Est-ce que c’est le même scénario à chaque fois, le même texte, est-ce qu’elle tombe forcément dans les pommes ?
Est-ce que c'est courant de demander à quelqu'un d'autre d'effectuer sa performance? Est-ce que c'est toujours la même jeune fille?
J’ai compris maintenant qu’elle attendait que je retourne vers elle pour commencer, le passage au guichet (même pour les gens qui ne posent pas de questions) est plus ou moins obligé ne serait-ce que pour feuilleter les livres.
Ce n’est donc pas un show autour duquel viennent s’agglutiner les visiteurs, c’est une action qui va vers le visiteur qui le surprend et le désoriente, qui change forcément selon la réceptivité du visiteur.
Ce n’est pas que visuel, c’est physique parce qu’il y a promiscuité du fait de l’espace plus restreint de la galerie (d’autant plus que je n’étais qu’à une vingtaine de centimètres d’elle quand elle s’est écroulée). J’ai eu des réponses à mes questions en en discutant avec une autre personne ayant visité l’expo séparément, mais je vous les dirai pas.

mercredi 19 avril 2006

Les Raynaud de Raynaud

Les Raynaud de Raynaud
Au Mamac à Nice
Du 25 mars au 10 septembre 2006



Alors dans artpress, ils disaient que ce n’était pas une rétrospective, non, parce Raynaud ne serait apparemment pas à l’heure du bilan. Je m’attendais encore une fois à une présentation atypique, je l’espèrais plutôt (mais est-ce que j’en demande trop ?) puisque n’y sont présentées que les œuvres appartenant à Raynaud. Mais non, rien dans la scénographie, dans la communication de l’expo ne nous renseigne là-dessus. Le titre, les Raynaud de Raynaud c’est bien joli mais ça fait très « coup de pub » parce que moi je n’y ai vu qu’une rétrospective. Mais bon « rétrospective », ça lui file un coup de vieux à Raynaud. Donc voilà, première déception.

De Raynaud, je connaissais les pots ( sur le parvis de Beaubourg et devant la Fondation Cartier), les carreaux (sa maison entièrement carrelée qu’il a détruite après l’avoir habitée et en a vendu les morceaux), j’ai découvert les panneaux de signalisations et les drapeaux. Pots, carreaux, panneaux de signalisations, drapeaux, Raynaud travaille avec des objets/signes qu’il élève au rang d’objets d’art.

J’aime toujours les pots, surtout maintenant que je sais qu’il a son diplôme d’horticulteur. Ils sont grands (ceux que je connais) et majestueux, ils trônent à l’entrée de mes musées préférés. Le pot a quelque chose de simple, d’universel presque, il n’est pas prétentieux même quand il est doré ou rose fluo. J’aime le pot.

Les carreaux, ça me plaît aussi, ça me plaît comme expérience vécue. Et ce grand mur que forment tous les cartons censés contenir les restes de la maison, il est impressionnant.

Les panneaux de signalisations, surtout des sens interdits, ça me plaît aussi. Surtout ce grand mur composé de sens interdits et de cette photo de Philippe Charbonnier d’un fou dans la paille d’un asile psychiatrique. Le format est si large, le rapport de proportion entre la photo étroite et les sens interdits qui se déploient dans la largeur. Le discours sur l’enfermement. Et le rapport chromatique entre la photo noir et blanc et cette agressivité rouge du sens interdit. Oui, va pour les panneaux de signalisations.

Je n’aime pas les drapeaux. Oui, vous le sentiez venir. L’engagement ne me parle pas. Prendre un drapeau existant, le tendre sur un châssis, c’est une œuvre d’art ? Avec une variante style happening : se faire prendre en photo avec ledit drapeau dans un lieu officiel surveillé. Alors il y a référence à Jasper Johns, à Duchamp, ils ont bon dos les ready-mades. Et ce meeting, j’apprends que Raynaud a tenu campagne en 2002, d’ailleurs si quelqu’un a assisté à un de ses meetings, j’aimerai avoir un témoignage. Tout ça au nom de l’art. Mais pourtant l’art sait être politique sans perdre de sa magie.
Il ne faut pas tout confondre, ce serait au détriment de l’art et de la politique.
Le drapeau de la Lybie (vert) tendu sur un châssis devient un hommage à Klein parce que le drapeau est un monochrome.
J’ai eu beau lire toutes les interviews qui nous étaient proposées, je n’adhère pas. Pierre Restany décédé en 2003 a une tombe « Raynaud » bleu blanc rouge. Oui mais quand même j’ai du mal.

vendredi 14 avril 2006

Mark Rothko La réalité de l'artiste




Mark Rothko
La réalité de l’artiste



Ca faisait quelques semaines que je les voyais en librairie la réalité de l’artiste et écrits sur l’art (couverture noire) j’hésitais toujours au dernier moment, il y avait toujours autre chose à lire. Mais la semaine dernière, je l’ai acheté, ça y est.

J’ai finalement opté pour la réalité de l’artiste parce que c’est un manuscrit inachevé alors qu’ écrits sur l’art n’est qu’un recueil de textes et autres lettres éparses et j’avais eu le malheureux hasard de l’ouvrir sur la page où il écrivait à Barnett Newman que sa femme était enceinte, je m’étais dit qu’un échange épistolaire entre Rothko et Newman pouvait être plus riche que ça.

J’avais lu quelques mots de Rothko dans je ne sais plus quel catalogue de musée, sur le fait que les couleurs sont comme les acteurs d’un tableau, qu’elles interagissent entre elles, toute une référence à l’univers du théâtre …Je m’attendais avec la réalité de l’artiste à quelque chose de très « expressionnisme abstrait ». Eh oui, qui n’est pas fan de ces grands color fields ?

Oui, mais non, le manuscrit n’a été rédigé que vers 1940. Une quinzaine d’années avant la période dite expressionnisme abstrait.
Je découvre un Rothko que je ne connaissais pas, d’abord grâce aux reproductions au milieu de l’ouvrage mais aussi dans ses références. L’antiquité, la Renaissance, seulement quelques artistes du Xxème en fin d’ouvrage, Beaucoup de psychanalyse, la manière dont un enfant perçoit l’art, comment un artiste peut en arriver à produire tel art…

C’est intéressant de voir à quel point, transparaît la personnalité de l’artiste dans ce livre. Ce n’est pas vraiment un manifeste mais il y a engagement. Il n’y a pas cette distance qu’on trouve dans les livres théoriques sur l’art, Rothko s’approprie ses références, il les porte et s’implique dans son discours.

Il aurait mis sa pratique picturale en suspend pendant un an pour écrire ce manuscrit, comme si à ce moment-là, il ne pouvait peindre et devait passer par l’écrit. Il est dit que l’écriture du livre a permis d’aller vers les futures abstractions qui firent sa renommée. On est dans un avant, quelque chose se prépare.

Quelques lignes de l’introduction de Christopher Rothko : « Il nous parle de ce que fait l’artiste, de ce qu’est son rapport aux idées, et de la façon dont il s’y prend pour les exprimer. » L’introduction est un peu longue, et elle donne le sentiment qu’un écran est posé entre le manuscrit et le lecteur, ce n’est pas Mark Rothko que l’on lit directement mais Mark Rothko relu et corrigé pendant x années. J’aurai peut-être préféré la lire après le livre.

Rothko commence sur un ton un peu geignard, sur le statut de l’artiste mais c’est comme une mise en jambe : il pose les bases de sa relation aux autres en tant qu’artiste.

« Sentir la beauté c'est donc participer à l'abstraction à travers un agent particulier. En un sens, c'est un reflet infini de la réalité. Car si nous connaissions l’apparence de l’abstraction elle-même, nous ne ferions qu’en reproduire l’image . »

« Un tableau est l’énoncé par l’artiste de ses notions de la réalité dans les termes de discours plastique. En ce sens, c’est au philosophe plutôt qu’à l’homme de science qu’il faut comparer le peintre. »

quelques passages m’ont été plus difficiles à décortiquer :

« En vérité, l’équilibre entre pragmatisme et rationalité découle de notre acceptation de la relativité, dans laquelle les alternances du rationnel et du dogmatique constituent un modèle dans lequel nous pouvons reconnaître les rythmes de la vie. »

Rothko emploie un vocabulaire bien précis qui est souvent difficilement traduisible et on le sent malheureusement dans la traduction, comme quand on regarde un film en vf. Les mots ne sont pas aussi bien appuyés, atmosphère est bien plat à côté de mood , et contenu pour subject matter ? (Ces mots sont donnés entre parenthèses au lecteur).


Alors en allant farfouiller sur Amazon, je tombe sur l’édition en anglais. Et cette couverture ! C’est celle du manuscrit original (reproduite en noir et blanc dans la réalité de l’artiste). Elle a définitivement plus de caractère. Pourquoi n’avons-nous droit qu’à cette couleur beige-maronnasse ? Et l’œuvre reproduite en couverture date de 1957 bien après la rédaction dudit manuscrit. Non, je suis déçue , déçue. Ne faîtes pas la même erreur que moi, achetez-le en anglais (si vous êtes fluent, cela va sans dire).
Du coup, je vais peut-être acheter Ecrits sur l’art, certains sont plus contemporains de la période qui m’intéresse chez Rothko et je crois qu’il ne parle pas que de la grossesse de sa femme.

lundi 10 avril 2006

Notre Histoire




Notre Histoire
Au Palais de Tokyo
Du 21 janvier au 7 mai 2006





C’est toujours agréable d’aller au Palais de Tokyo. On respire dans ce grand espace. On dirait un gigantesque terrain de jeux. On est plus à l’aise, on erre d’une œuvre à l’autre, on se laisse porter, attirer, happer par les œuvres, les installations.

Et quel bonheur cette expo Notre Histoire ! On peut dire que les deux commissaires Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud ont voulu marqué le coup pour leur dernière expo au Palais de Tokyo. C’est la « scène artistique française émergente » qui est présentée. Les artistes ne sont pas tous au même degré de notoriété mais qu’importe, on ressent cette forte émulation, un débordement de créativité.

Un petit bémol tout de même. Le discours qui accompagne l’œuvre est souvent trop lourd, trop chargé . Il faudrait trouver un équilibre avec l’œuvre elle-même.
Je pense notamment à l’œuvre de Wand Du, Luxe populaire, c’est une installation dans laquelle des « montagnes de journaux froissés viennent submerger le spectateur, exacerbant ainsi le côté monstrueux de ce carnaval de l’info » (extrait du petit journal de l’expo).

Fort bien, fort bien, je ne dis pas que Wang Du va trop loin dans son engagement ou dans son discours , je ne suis pas au ras de pâquerettes non plus. Mais le côté sensationnel de l’installation n’est à mon sens pas assez mis en avant.
C’est une installation, elle parle d’espace. On ne parle pas assez de la matérialité de l’œuvre. Est-ce qu’elle n’est pas assumée ? Ce serait dommage, j’ai traversé la pièce en marchant sur ces tas de journaux, quelle drôle de sensation .
Cette sensation est support du discours mais elle n’est pas assez mise en avant dans les cartels. Il y a du coup un déséquilibre entre les cartels très « oui, alors son engagement le plus profond » et l’œuvre qui est du kiffe total !

C’est la même chose pour Habibi, le grand squelette d’Adel Abdessemed. C’est purement grandiose. Vous êtes au Palais de Tokyo et un squelette humain long de 17m est suspendu horizontalement. Alors là, on nous ressort un discours sur l’identité. Ce que je reproche aux cartels c’est de ne pas faire le lien entre la sensation éprouvée et le discours, ils minimisent du coup cette sensation.

Je râle, je râle, je n’aurai pas du les lire ces cartels, parce que le discours en question est souvent très lisible (du moins dans le cadre de l’expo Notre Histoire, ne généralisons pas sur tout l’art contemporain). On peut aussi dire que les cartels et la sensation de l’œuvre sont complémentaires.

Un deuxième petit bémol que je me permets parce que l’expo est géniale, alors il faut bien lui chercher un peu des poux. C’est ce truc qu’ont les « jeunes » artistes à se faire référence à eux-mêmes. Il y a sûrement d’autres moyens d’approfondir son travail que de faire référence à ses propres travaux précédents. Oui, en référence à son travail présenté en 2002 à la galerie machinchose à pétaouchnok, il poursuit ses recherches engagées sur le thème …blablabla.
Oui, mais qui a vu cette expo ? Ne devrait-il pas y avoir un seuil minimum de visiteurs à une expo pour qu’on puisse y faire référence ultérieurement ?
Enfin, moi je dis ça, ça m’agace mais je vais quand même me renseigner après, ça a le mérite d’éveiller ma curiosité. J’avais ainsi pu approfondir Lyrics de Saâdane Afif au Palais de Tokyo en allant faire un tour du côté de la galerie Michel Rein, et là, j’avais compris, enfin, un peu mieux…

Allez au Palais de Tokyo, courez-y.

J’ai aimé Virginie Barré et son fat bat, j’ai encore bavé devant les pastèques en bronzes d’Olivier Babin, j’ai sautillé sur la roue lost world de Saâdane Afif, j’ai rêvé, allongée sur l’installation chemtraum de Nicolas Moulin, j’ai respiré dans la smoking room de Leandro Erlich, j’ai voulu dessiner devant le mur de Petra Mrzyk et Jean-François Moriceau, j’ai ri devant le duane hansonien Mathieu Laurette…

Et vous ?

samedi 8 avril 2006

Cézanne et Pissaro




Cézanne et Pissaro

Au Musée d’Orsay

Du 28 février au 28 mai 2006



Ca se fait beaucoup ces expositions-duos. C’est toujours un sentiment bizarre, on pensait que l’artiste en question était si grand si unique et on se rend finalement compte qu’il faisait partie d’un duo, d’un couple d’artistes.

Cézanne et Pissaro se sont influencés mutuellement pendant près de deux décennies, fin XIXème. L’expo est présentée de manière chronologique.

Mais c’est quoi, vraiment le parti pris de l’expo ? Les œuvres sont présentées en alternance, Cézanne, Pissaro, Cézanne, Pissaro… Vous pouvez vous amuser à essayer de deviner qui a fait quoi , oui alors celui-ci on dirait un Cézanne, oui, ça semble se confirmer parce qu’à côté il fait très Pissaro.

C’est donc une comparaison, une confrontation. C’est vrai qu’en resserrant le choix des tableaux sur des thèmes communs, on perçoit plus facilement la spécificité de chacun des deux artistes. Pissaro est plus impressionniste, ses couleurs sont douces, nuancées, Cézanne, lui est à l’origine du cubisme, son organisation est plus géométrique, et ses touches plus huileuses, plus brillantes.

L’expo présente donc bien les influences mais elle n’offre pas la possibilité d’entrer dans la profondeur des œuvres respectives.
L’alternance des tableaux agit comme un mur, on peut difficilement voir au-delà de la comparaison lors d’une visite normale. Chaque pièce est divisée en deux, elle présente deux thèmes différents illustrés par les tableaux en alternance de Cézanne et Pissaro. N’aurait-il pas été préférable de diviser chaque pièce en deux avec d’un côté Cézanne et de l’autre Pissaro ? Histoire d’entrer plus en profondeur dans leur univers respectif. Il n’y aurait à ce moment-là plus de comparaison mais un dialogue.
La différence est mince mais elle permet d’aller au-delà de la simple constatation : tiens, c’est dingue, ils ont peint ce tableau exactement au même endroit. Oui, je l’admets, mon jugement est un peu réducteur mais n’est-ce pas aussi réducteur de ne présenter de Cézanne que ses tableaux faits à Pontoise alors qu’il est plus connu pour ses représentations de l’Estaque et de la Montagne Sainte-Victoire ?
Cela n’aurait pas forcément était contradictoire à la volonté de comparer de l’expo, cela aurait pu être présenté dans les dernières salles, comme une ouverture, et ils prirent de nouveaux chemins…

croquis personnel

dimanche 2 avril 2006

La petite chaise rouge

Le Plateau Fonds Régional d'Art Contemporain
D'Ile-de-France


Lee Show-Chun à l'espace expérimental
Du 16 mars au 16 avril 2006


Je suis allée au Plateau. J’y ai acheté une petite chaise rouge.

J’étais partie pour voir cette expo archi-peinture qui ne m’a pas spécialement enchantée.
C’est à l’espace expérimental que j’ai rencontré cette petite chaise .

Lee Show-Chum est une artiste anthropologue. Taïwanaise, elle vit et travaille à Paris. Elle étudie les conditions de vie des clandestins chinois. Elle présente une vidéo d’une jeune clandestine chinoise à Paris et un diaporama de photos prises pas Monsieur Li également clandestin chinois.
C’est d’ailleurs à Monsieur Li qu’elle a offert une partie de l’espace de l’exposition . Comme il le fait dans la rue, il a étendu sur un drap toutes sortes de choses, des petits livres en chinois, des vêtements, une petite chaise rouge…
Des prix sont posés sur des petits papiers : 1, 3 ou 5 euros. Monsieur Li est assis à côté sur un banc, il écrit. Il a été victime d’un accident corporel alors qu’il était employé au noir sur un chantier, il sollicite de l’aide.

Ce n’est pas très clair, il n’y a pas de cartel, rien, on ne sait pas si Monsieur Li est vraiment Monsieur Li et si les objets sont réellement à vendre .
Je vais me renseigner à l’accueil. Là on me dit que oui, qu’il faut encourager l’échange entre le visiteur et Monsieur Li qui a l’air de s’ennuyer.

Cette petite chaise rouge, le rouge d’une cabine téléphonique anglaise… Je fais signe à Monsieur Li, lui parle en français en anglais, je fais finalement des signes pour me faire comprendre. Il a l’air d’être content. Je prends la petite chaise rouge. A l’accueil aussi la jeune femme qui m’avait renseignée est contente.

Cette petite chaise a illuminé ma journée. Elle trône chez moi . Même après avoir découvert cette petite étiquette ikéa en la retournant, ma joie n’a pas diminué. Elle avait l’air unique.

Elle ne m’a pas forcément donné le sentiment d’avoir fait une bonne action étant donné la modique somme à laquelle elle était vendue. Et ce n’est pas non plus le besoin de posséder une chaise d’enfant rouge qui m’a poussé à l’acheter. Mais dès lors que je me suis renseignée sur Monsieur Li et l’installation, que je me suis renseignée physiquement à l’accueil sans passer par un quelconque cartel, ma visite au Plateau était déjà transformée.

Ce qui m’importe aujourd’hui, ce n’est pas de faire un discours moralisateur sur les conditions de vie des clandestins chinois, je n’en ai pas l’étoffe et je vous renvoie à l’analyse de Lee Show-Chun pour cela.

Ce qui m’importe c’est cette petite chaise et la manière dont elle a changé ma perception de l’expo. Il y a eu contact, échange, je n’ai pas forcément fait œuvre en l’acquérant. Mais dans mon esprit, l’expo s’est démarquée des autres non pas par son concept ni sa scénographie. Ce n’est pas l’expo qui est venue à moi mais plutôt l’inverse. J’ai pu m’approprier un bout de l’expo, en vivre une expérience. De bien grands mots pour une si petite action mais toujours est-il que cette expo n’a pas été qu’un supplément de culture, elle est devenue expérience et souvenir.

Ce qui m’intéresse c’est cet élément déclencheur qui part du visiteur lui-même et qui change sa propre perception de l’expo et qui le pousse à être actif. L’élément déclencheur ici, pour moi, c’était la petite chaise rouge.